Il faut libérer Barghouti
Par Yossi Sarid
Haaretz, lundi 20 novembre 2006
article original : "Free Barghouti"
Avant son voyage aux Etats-Unis — et durant sa visite — le Premier ministre Ehoud Olmert a annoncé qu'il apportait avec lui un grand nombre de surprises, si seulement Mahmoud Abbas (Abou Mazen) acceptait finalement de le rencontrer. Le président de l'Autorité Palestinienne ne peut même pas imaginer ce qui l'attendrait au cours d'une telle rencontre, retardée pendant des mois et des années : Une promesse de rencontre vaut mieux que deux ou trois promesses tenues. Cela a toujours été ainsi lorsque l'on se rend au Bureau Ovale : des montagnes et des collines sur le chemin de l'aller, des plaines et des vallées sur celui du retour. La route vers Ramallah passe par Washington et elle est longue de quelques 10.000 kilomètres.
Marwan Barghouti ne se rend nulle part. Il se trouve dans la prison de Hadarim où il y effectue cinq condamnations à vie, pour lesquelles il a été condamné par une cour civile. "Des sources bien informées" se sont assurées de rendre public le fait qu'il n'y a aucune chance qu'il soit libéré dans le contexte d'un accord d'échange de prisonniers avec les soldats capturés — l'accord qui permettrait de libérer le soldat Gilad Shalit. Le gouvernement israélien n'accepte pas de libérer Barghouti — et c'est définitif. Et c'est une nouvelle erreur.
Non pas que Barghouti soit un homme vertueux — là où il n'y a pas d'hommes vertueux — mais il n'a pas de "sang sur les mains". Au pire, le sang lui est monté à la tête à la suite de l'assassinat ciblé malheureux contre son ami Raed Karmi. Il est possible que Barghouti porte la responsabilité d'attaques terroristes, mais il s'agit de la "responsabilité du retour à l'envoyeur" (qui en soi est grave et donne matière à condamnation). Le problème est qu'il n'y a aucune personne dans le camp d'en face qui soit totalement exempte d'une telle responsabilité — et qui en est exempt dans le nôtre ? Tout un chacun a déjà baigné, ici, dans la rivière de sang et il est en fait possible d'y plonger une deuxième fois, dans ce même sang de l'innocent. Tous ceux avec lesquels nous nous sommes assis à la table des négociations (et qui s'y assiéront dans le futur) sont malheureusement stigmatisés comme commanditaires des terroristes et, en cela, Barghouti n'est ni meilleur ni pire.
La politique palestinienne chaotique se divise aussi en deux camps principaux et tous les autres ne sont que des groupes dissidents et des dissidents de dissidents : Le camp modéré reconnaît Israël et est prêt à reconnaître son existence ; et le camp extrémiste radical, qui adhère à ce refus, n'est pas prêt à faire un compromis et considère Israël comme un élément étranger qui doit être arraché. Bien qu'Israël fasse tous les efforts pour brouiller les frontières entre les deux camps et pour n'en faire qu'un, Barghouti fait toujours partie du camp des conciliateurs et il n'y a aucun corps autorisé en Israël qui puisse nier cette affirmation. De sa prison et bien qu'il ait eu le pouvoir d'interférer dans ce choix, il a soutenu l'élection d'Abou Mazen à la présidence de l'AP.
Du fond de sa prison, il a rédigé le "document des prisonniers", élaboré par des membres du Fatah et du Hamas, qui appelle à la création de deux Etats basés sur les frontières de 1967, adopte les accords passés entre les deux camps et abandonne la lutte armée dans les territoires non occupés. Il ne s'agit pas d'un document parfait, que les Israéliens sont invités à signer, mais il s'agit incontestablement d'une base raisonnable pour discuter.
Il n'y aura pas de troisième camp palestinien plus commode pour Israël que Barghouti. Il n'y aura pas de dirigeant plus désirable pour Israël que Barghouti. Lorsque l'on regarde autour de soi, on ne peut identifier de dirigeant palestinien plus populaire que lui. Il y a quelques jours de cela, un sondage a été mené dans les camps de réfugiés au Liban et, une fois encore, il s'est avéré que, là-bas, Barghouti est populaire parmi son peuple — plus que le dirigeant politique du Hamas, Khaled Meshal, et bien plus qu'Abou Mazen. La prison israélienne en a fait un martyr et lui confère une image courageuse, propre et populaire ; Barghouti est shahid de son vivant.
Il est vrai qu'Abou Mazen soulève l'étonnement et l'admiration pour sa droiture morale. Il est si difficile, presque inhumain, de conquérir le feu de la passion et de ne pas être brûlé dans les flammes de la calamité quotidienne. Mais le président ne peut pas s'occuper des choses tout seul et il a besoin d'aide. Et personne ne peut plus l'aider que Barghouti. Avec Barghouti à ses côtés, Abou Mazen s'assiéra à la table des négociations dans un fauteuil bien arrimé.
Et, le fameux jour où Abou Mazen ne sera plus dans le tableau, qu'arrivera-t-il ? Qui lui succédera, exactement ? Dans la situation qui a été créée, seul un refuznik habituel du Hamas sera le successeur, parce que le Fatah, organisation faible, n'a actuellement aucun remplaçant naturel. Israël continuera-t-il de garder Barghouti en prison, tant qu'il ne s'affaiblit pas prématurément, lui aussi ? Est-ce le plan secret d'Olmert ?
En tout cas, le jour viendra — et il n'est pas loin — où le prisonnier Barghouti sera nommé président de l'AP ou président de la Palestine. Et que ferons-nous, alors ? Le monde entier — et aussi l'Amérique, qui est en train de changer — exigera avec insistance la libération immédiate des personnes choisies dans des élections démocratiques. C'est l'idéal de George W. Bush, le créateur bien connu de démocraties.
Il n'y a rien de neuf sous le soleil : Officiellement, Israël prendra toujours trop tard la bonne décision. C'est ainsi qu'Israël aime faire les choses.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
liens
http://questionscritiques.free.fr/edito/haaretz/
Yossi_Sarid/Marwan_Barghouti_201106.htm
Haaretz, lundi 20 novembre 2006
article original : "Free Barghouti"
Avant son voyage aux Etats-Unis — et durant sa visite — le Premier ministre Ehoud Olmert a annoncé qu'il apportait avec lui un grand nombre de surprises, si seulement Mahmoud Abbas (Abou Mazen) acceptait finalement de le rencontrer. Le président de l'Autorité Palestinienne ne peut même pas imaginer ce qui l'attendrait au cours d'une telle rencontre, retardée pendant des mois et des années : Une promesse de rencontre vaut mieux que deux ou trois promesses tenues. Cela a toujours été ainsi lorsque l'on se rend au Bureau Ovale : des montagnes et des collines sur le chemin de l'aller, des plaines et des vallées sur celui du retour. La route vers Ramallah passe par Washington et elle est longue de quelques 10.000 kilomètres.
Marwan Barghouti ne se rend nulle part. Il se trouve dans la prison de Hadarim où il y effectue cinq condamnations à vie, pour lesquelles il a été condamné par une cour civile. "Des sources bien informées" se sont assurées de rendre public le fait qu'il n'y a aucune chance qu'il soit libéré dans le contexte d'un accord d'échange de prisonniers avec les soldats capturés — l'accord qui permettrait de libérer le soldat Gilad Shalit. Le gouvernement israélien n'accepte pas de libérer Barghouti — et c'est définitif. Et c'est une nouvelle erreur.
Non pas que Barghouti soit un homme vertueux — là où il n'y a pas d'hommes vertueux — mais il n'a pas de "sang sur les mains". Au pire, le sang lui est monté à la tête à la suite de l'assassinat ciblé malheureux contre son ami Raed Karmi. Il est possible que Barghouti porte la responsabilité d'attaques terroristes, mais il s'agit de la "responsabilité du retour à l'envoyeur" (qui en soi est grave et donne matière à condamnation). Le problème est qu'il n'y a aucune personne dans le camp d'en face qui soit totalement exempte d'une telle responsabilité — et qui en est exempt dans le nôtre ? Tout un chacun a déjà baigné, ici, dans la rivière de sang et il est en fait possible d'y plonger une deuxième fois, dans ce même sang de l'innocent. Tous ceux avec lesquels nous nous sommes assis à la table des négociations (et qui s'y assiéront dans le futur) sont malheureusement stigmatisés comme commanditaires des terroristes et, en cela, Barghouti n'est ni meilleur ni pire.
La politique palestinienne chaotique se divise aussi en deux camps principaux et tous les autres ne sont que des groupes dissidents et des dissidents de dissidents : Le camp modéré reconnaît Israël et est prêt à reconnaître son existence ; et le camp extrémiste radical, qui adhère à ce refus, n'est pas prêt à faire un compromis et considère Israël comme un élément étranger qui doit être arraché. Bien qu'Israël fasse tous les efforts pour brouiller les frontières entre les deux camps et pour n'en faire qu'un, Barghouti fait toujours partie du camp des conciliateurs et il n'y a aucun corps autorisé en Israël qui puisse nier cette affirmation. De sa prison et bien qu'il ait eu le pouvoir d'interférer dans ce choix, il a soutenu l'élection d'Abou Mazen à la présidence de l'AP.
Du fond de sa prison, il a rédigé le "document des prisonniers", élaboré par des membres du Fatah et du Hamas, qui appelle à la création de deux Etats basés sur les frontières de 1967, adopte les accords passés entre les deux camps et abandonne la lutte armée dans les territoires non occupés. Il ne s'agit pas d'un document parfait, que les Israéliens sont invités à signer, mais il s'agit incontestablement d'une base raisonnable pour discuter.
Il n'y aura pas de troisième camp palestinien plus commode pour Israël que Barghouti. Il n'y aura pas de dirigeant plus désirable pour Israël que Barghouti. Lorsque l'on regarde autour de soi, on ne peut identifier de dirigeant palestinien plus populaire que lui. Il y a quelques jours de cela, un sondage a été mené dans les camps de réfugiés au Liban et, une fois encore, il s'est avéré que, là-bas, Barghouti est populaire parmi son peuple — plus que le dirigeant politique du Hamas, Khaled Meshal, et bien plus qu'Abou Mazen. La prison israélienne en a fait un martyr et lui confère une image courageuse, propre et populaire ; Barghouti est shahid de son vivant.
Il est vrai qu'Abou Mazen soulève l'étonnement et l'admiration pour sa droiture morale. Il est si difficile, presque inhumain, de conquérir le feu de la passion et de ne pas être brûlé dans les flammes de la calamité quotidienne. Mais le président ne peut pas s'occuper des choses tout seul et il a besoin d'aide. Et personne ne peut plus l'aider que Barghouti. Avec Barghouti à ses côtés, Abou Mazen s'assiéra à la table des négociations dans un fauteuil bien arrimé.
Et, le fameux jour où Abou Mazen ne sera plus dans le tableau, qu'arrivera-t-il ? Qui lui succédera, exactement ? Dans la situation qui a été créée, seul un refuznik habituel du Hamas sera le successeur, parce que le Fatah, organisation faible, n'a actuellement aucun remplaçant naturel. Israël continuera-t-il de garder Barghouti en prison, tant qu'il ne s'affaiblit pas prématurément, lui aussi ? Est-ce le plan secret d'Olmert ?
En tout cas, le jour viendra — et il n'est pas loin — où le prisonnier Barghouti sera nommé président de l'AP ou président de la Palestine. Et que ferons-nous, alors ? Le monde entier — et aussi l'Amérique, qui est en train de changer — exigera avec insistance la libération immédiate des personnes choisies dans des élections démocratiques. C'est l'idéal de George W. Bush, le créateur bien connu de démocraties.
Il n'y a rien de neuf sous le soleil : Officiellement, Israël prendra toujours trop tard la bonne décision. C'est ainsi qu'Israël aime faire les choses.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
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http://questionscritiques.free.fr/edito/haaretz/
Yossi_Sarid/Marwan_Barghouti_201106.htm
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