dimanche, novembre 26, 2006

Grand remue-ménage dans les coulisses de Washington : attaquer l'Iran, oui, mais comment ?

Seymour M. Hersh, 27 novembre 2006
Traduit par Marcel Charbonnier et révisé par Fausto Giudice

Une administration américaine ayant du plomb dans l’aile peut-elle encore attaquer l’Iran, voire pire si affinités ?

Un mois avant les élections de ce mois, le vice-président US Dick Cheney participait à un débat sur la sécurité nationale au siège des bureaux de l’exécutif [Executive Office Building]. Ce débat prit rapidement une tournure très politique : que se passerait-il au cas où les Démocrates remporteraient à la fois le Sénat et la Chambre des Représentants ? De quelle manière cela affecterait-il la politique des USA envers un Iran dont on pense qu’il est à la veille de devenir une puissance nucléaire ? A ce point dans la discussion, a rapporté un des participants à la discussion, Cheney s’est mis à raconter ses souvenirs de monteur de lignes électriques, au début des années 1960, époque où il bossait dans une compagnie électrique de l’Etat du Wyoming… Les fils de cuivre coûtaient cher, et tous les monteurs de lignes avaient reçu l’ordre de rendre tous les bouts inutilisés au-dessus des cinquante centimètres. Personne ne voulait s’emmerder à remplir la paperasse que cela occasionnait, expliqua Cheney, si bien qu’avec ses collègues, ils avaient trouvé une solution idoine, consistant à faire intervenir des « raccourcisseurs » sur les chutes de fil électrique, c’est-à-dire qu’ils coupaient ces chutes en petits morceaux, et qu’ils mettaient tous ces rogatons à la poubelle, à la fin de la journée… Si les démocrates l’emportaient, le 7 novembre, expliqua le vice-président des USA, cette victoire n’empêcherait nullement l’administration de persister dans l’option militaire contre l’Iran. La Maison Blanche n’aurait qu’à traiter les éventuelles restrictions législatives sur ces projets guerriers comme ses chutes de fil électrique, dans sa jeunesse : voilà qui empêcherait le Congrès de lui mettre des bâtons dans les roues… [On voit le niveau ! NdT]

Ce qui tenait la Maison Blanche en souci, ce n’était nullement le risque que les Démocrates coupent les fonds alimentant la guerre en Irak, mais bien que la future législation n’interdît à ladite Maison Blanche de financer des opérations visant à renverser ou à déstabiliser le gouvernement iranien, afin de l’empêcher d’obtenir la bombe atomique. « Ils redoutent que le Congrès ne vote une résolution impérative arrêtant toute frappe contre l’Iran, à la sauce « Nicaragua dans la guerre avec la Contra », m’a confié un ancien haut responsable du renseignement.

A la fin 1982, Edward P. Boland, un Représentant du Parti démocrate, a déposé le premier d’une séries d’ « amendements Boland », qui limitaient la capacité de l’administration Reagan de soutenir les Contras, lesquels ambitionnaient de renverser le gouvernement sandiniste (de gauche) au Nicaragua. Les restrictions Boland conduisirent les responsables de la Maison Blanche à orchestrer des activités de collecte de fonds au bénéfice des Contras, y compris en vendant des armes usaméricaines, via Israël, à… l’Iran. Il en résulta le scandale Iran-Contra, au milieu des années 1980. L’histoire racontée par Cheney, d’après ma source, était pour lui une manière de dire que quoi que puisse bien faire un Congrès démocrate, l’année prochaine, pour limiter l’autorité du Président des USA, l’administration d’icelui trouverait toujours une façon de le court-circuiter [Le cabinet du vice-président, interrogé à ce sujet, a répondu qu’il ne disposait d’aucun enregistrement de cette conversation.]

Au cours de diverses interviews des responsables actuels et passés de l’administration usaméricaine en revenaient toujours à la sempiternelle question de savoir si Cheney aurait toujours autant d’influence, durant les deux dernières années de présidence de George Deubeuliou Bush, qu’il en avait eu durant les six premières. Cheney est toujours très sûr de lui, au sujet de l’Irak. Fin octobre, il a déclaré au Time : « Je sais ce que pense le Président », au sujet de l’Irak. « Je sais ce que je pense. [C’est déjà ça !… NdT] Et nous ne sommes absolument pas en quête d’une stratégie de repli. Non ; ce que nous voulons, c’est la victoire ! ». Il est tout aussi évident que l’administration recourrait, si nécessaire, à la force militaire contre l’Iran. « Les USA laissent toutes les options sur la table quand ils réfléchissent à la réponse à apporter à la conduite irresponsable du régime (iranien) », a-t-il déclaré à un groupe de lobbying israélien, début 2006. « Et nous nous joignons à d’autres pays [Au pluriel, ça fait plus abondant… Mais, en réalité : suivez mon regard… NdT] pour envoyer à ce régime un message extrêmement clair : Nous ne laisserons jamais l’Iran accéder à l’arme nucléaire. »

Le 8 novembre, soit au lendemain de la perte, par les Républicains, tant de la Chambre que du Sénat, Bush a annoncé la démission du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, et la nomination de son successeur, Robert Gates, un ancien directeur de la CIA. Cette mesure a été largement perçue comme un aveu du fait que l’administration était en train de payer politiquement la débâcle en Irak. Gates a appartenu au Irak Study Group – dirigé par l’ancien secrétaire d’Etat James Baker et Lee Hamilton, un ancien membre démocrate du Congrès -, lequel avait été chargé d’étudier de nouvelles approches du problème irakien, et en appelait publiquement depuis plus d’un an à l’engagement de discussions directes des USA avec l’Iran. La décision prise par Bush de recourir à Gates était un signe évident du « désarroi » de la Maison Blanche, m’a dit un ancien haut responsable de la CIA travaillant à la Maison Blanche depuis les attentats du 11 septembre 2001.

Les relations de Cheney avec Rumsfeld figuraient au nombre des plus étroites à l’intérieur de l’administration usaméricaine, et certains Républicains ont vu dans la nomination de Gates un signe évident que l’influence du vice-président à la Maison Blanche risquait de se voir remise en question. L’unique raison que pouvait avoir Gates pour accepter ce job, m’a dit l’ex-responsable de la CIA, c’était que « le père du président, Brent Scowcroft et James Baker » - c’est-à-dire deux anciens conseillers du président Bush Ier – « ont mis le paquet, si bien que le président George Deubeuliou Bush a été contraint de se plier à la tutelle de ces adultes… »

Des décisions cruciales seront prises au cours des mois à venir, m’a dit l’ancien de la CIA. « Cela fait six ans que Bush dit amen à tout ce que lui dit Cheney, et le script du feuilleton sera sans doute le suivant : « Bush va-t-il continuer de préférer Cheney à son papa ? » Nous allons bientôt le savoir. » [La Maison Blanche et le Pentagone ont refusé de répondre à mes demandes détaillées de commentaires à propos du présent article, se contentant de signaler qu’il contiendrait certaines inexactitudes de détail, sans plus de précision…]

Le trio Scowcroft, Baker, Bush l’Ancien est aussi en affaires pétrolières juteuses avec le Kazakhstan

Un général quatre étoiles en retraite, qui a travaillé étroitement avec la première administration Bush, m’a dit que la nomination de Gates signifie que Scowcroft, Baker, Bush l’Ancien et son fiston « sont en train de dire que la victoire aux élections de 2008 est plus importante que les sorts électoraux individuels. Pour eux, l’important, c’est de préserver l’agenda politique des Républicains. La Vieille Garde veut isoler Cheney et donner à sa fifille adorée, Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat, « une chance de donner toute sa mesure » [Bigre ! NdT]. La combinaison Scowcroft-Baker-Bush l’Ancien, travaillant de concert, est « assez puissante pour virer Cheney… », a ajouté le général, précisant afin d’être bien compris : «… ce qu’un seul homme ne peut accomplir… »

Richard Armitage, vice-secrétaire d’ةtat du premier mandat de Bush m’a dit qu’il était persuadé que la victoire électorale démocrate, suivie par la démission de Rumsfeld, cela voulait dire que l’administration avait « reculé » en termes de rythme de sa préparation d’une campagne militaire contre l’Iran. Gates et d’autres décideurs allaient disposer désormais de plus de temps afin de préconiser une solution diplomatique en Iran et de s’occuper d’autres questions, sans doute plus pressantes. » L’Irak est dans une situation aussi catastrophique qu’il en a l’air, et l’Afghanistan est dans une situation encore pire qu’il n’en a l’air », a dit Armitage. « Un an en arrière, les Taliban nous combattaient en unités de huit à douze ; aujourd’hui, ils ont parfois acquis la taille d’une compagnie, voire plus. » Bombarder l’Iran en espérant que la population iranienne va « se lever » et renverser le gouvernement, comme d’aucuns le pensent à la Maison Blanche, a ajouté Armitage, « c’est tout simplement prendre un risque délirant… »

« S’il est un désastre dont nous devons nous dépêtrer à tout prix, c’est bien l’Irak. Et s’il y a un désastre que nous devions éviter comme la peste, c’est bien l’Iran ! » a dit Joseph Cirincione, vice-président chargé de la sécurité nationale au Centre (libéral – de gauche) pour le Progrès Américain [Center for American Progress]. « Gates sera partisan de la discussion avec l’Iran, et aussi d’écouter les bons conseils des chefs de la réunion des états-majors, mais les néocons sont toujours là …. – à la Maison Blanche – « qui persistent à croire que le chaos n’est après tout qu’un prix modique à acquitter pour se débarrasser d’une menace. .. Le risque, c’est que Gates devienne un Colin Powell bis, c’est-à-dire quelqu’un qui n’est pas d’accord avec la politique suivie, mais qui finit par faire la leçon au Congrès et par soutenir ladite politique publiquement… »

D’autres sources proches de la famille Bush m’ont dit que les machinations autour de la démission de Bush et de la nomination de Gates furent particulièrement complexes et que l’apparent triomphe de la Vieille Garde pourrait s’avérer trompeur. L’ancien responsable du renseignement, qui travailla naguère étroitement avec Gates et avec le père du président actuel, m’a dit que Bush et ses plus proches conseillers à la Maison Blanche avaient compris, dès la mi-octobre, que Rumsfeld allait être contraint à la démission au cas où le résultat des élections de mi-mandat serait un échec retentissant. Rumsfeld a été engagé dans des conversations portant sur le timing de son départ, avec Cheney, Gates et le président, avant les élections, m’a dit l’ancien responsable du renseignement. Les détracteurs qui ont demandé pourquoi Rumsfeld n’avait pas été viré plus tôt, car cette mesure aurait peut-être permis de donner aux Républicains un petit coup de main, étaient à côté de la plaque. « Une semaine avant les élections, les Républicains avertissaient (pour faire peur, NdT) qu’une victoire démocrate serait à l’origine d’un retrait américain. Et voilà qu’aujourd’hui, Bush et Cheney changeraient quoi que ce soit à leur politique en matière de sécurité nationale ? », s’est interrogé, dubitatif, l’ex-responsable du renseignement.

« Cheney savait que ce qui s’est passé allait se passer. Laisser tomber Rummy [sobriquet ‘affectueux’ de Rumsfeld, NdT] après les élections prit l’allure d’une mesure conciliatoire. « Vous avez raison, vous les Démocrates. Nous avons désormais un nouveau mecton, et nous envisageons toutes les options. Rien n’est exclu. » « Mais la gesticulation conciliatoire n’a été accompagnée d’aucun changement notable dans la politique suive ; bien au contraire, la Maison Blanche a vu dans Gates quelqu’un qui aurait assez de crédibilité pour l’aider à poursuivre son action [catastrophique, NdT] en Irak et éventuellement contre l’Iran. Gates allait aussi représenter, de leur point de vue, un atout devant le nouveau Congrès. Au cas où l’administration aurait besoin de plaider que le programme d’armements de l’Iran représenterait une menace imminente, Gates serait un meilleur avocat que quelqu’un qui était mouillé dans les flops du renseignement en Irak. L’ancien responsable du renseignement m’a dit : « Gates n’est pas le type qui nous a raconté qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak ; il y a donc quelque chance que le Congrès le prenne au sérieux... »

Gates, installé au Pentagone, aura affaire à l’Iran, à l’Irak, à l’Afghanistan ; lourd héritage laissé par Rumsfeld – sans oublier Dick Cheney. Un ancien responsable de l’administration Bush, qui a également travaillé avec Gates, m’a dit que celui-ci était parfaitement conscient des difficultés qui l’attendaient dans son nouveau job. Il a ajouté que Gates ne se contenterait pas d’endosser la politique de l’administration actuelle, en disant, « oriflamme au vent : En avant ! En avant ! ». Très peu pour lui… surtout pas au prix de sa propre réputation… « Il ne désire pas particulièrement voir ses trente-cinq années de bons et loyaux services dans l’administration gouvernementale balancés par la fenêtre », a ajouté l’ancien responsable. Toutefois, sur la question de savoir si Gates tiendrait activement tête à Cheney, cet ancien responsable a fini par lâcher, après une pause : « Je n’en sais rien… »

Gates sera confronté à une autre question critique : les efforts croissants du Pentagone pour mener des missions d’espionnages clandestines et déguisées outre-mer. Ces activités ont toujours été traditionnellement de la responsabilité de la CIA, mais, conséquence d’un entrisme systématique de Rumsfeld, les actions militaires clandestines n’ont cessé d’augmenter substantiellement. Depuis six mois écoulés, Israël et les USA travaillent également ensemble à soutenir un groupe de résistance kurde, connu sous le nom de Parti pour une Vie Libre au Kurdistan [Party for Free Life in Kurdistan]. Ce groupe mène des actions clandestines, notamment des incursions à travers la frontière à l’intérieur du territoire iranien, m’a dit un consultant du gouvernement usaméricain très lié aux dirigeants civils du Pentagone, dans le cadre d’une « action visant à explorer les moyens alternatifs d’exercer des pressions sur l’Iran ». [Le Pentagone a établi des relations secrètes avec les tribus kurdes, azéries et baloutches, et il soutient depuis plusieurs mois leurs efforts en vue de saper l’autorité du régime de Téhéran dans le Nord et dans le Sud de l’Iran.) Ce conseiller du gouvernement m’a indiqué qu’Israël fournit à ce mouvement kurde « de l’équipement et de l’entraînement ». Le mouvement s’est vu également remettre « une liste d’objectifs à l’intérieur du territoire iranien présentant un « intérêt pour les USA » ». [Un porte-parole du gouvernement israélien a démenti qu’Israël soit impliqué dans ces opérations… (Sourire… NdT)].

Ce genre d’opérations, dès lors qu’elles sont considérées comme relevant plutôt du militaire que du renseignement, ne requièrent pas d’auditions au Congrès. Pour des opérations similaires menées par la CIA, le Président aurait dû, pour se conformer à la loi, publier un constat en bonne et due forme du caractère nécessaire de l’opération, et l’administration aurait eu à briefer les chefs de groupes politiques à la Chambre des représentants et au Sénat. L’absence d’une consultation de ce genre a chagriné certains congressistes démocrates. Cette automne, m’a-t-on dit, le Représentant David Obey, du Wisconsin, chef démocrate de la sous-commission des Achats de la Chambre des représentants, chargée du financement d’activités militaires classifiées, a demandé à juste titre, durant une séance à huis clos réunissant des membres de la Chambre et du Sénat, si « quelqu’un avait été briefé au sujet du projet de l’Administration en matière d’activité militaire en Iran ? » La réponse fut négative [Un porte-parole de M. Obey a confirmé ce récit].

Les victoires démocrates, ce mois-ci, ont conduit à une avalanche d’appels en direction de l’administration, pressée d’entreprendre des négociations directes avec l’Iran, en partie afin d’obtenir l’aide de ce pays pour solutionner le conflit en Irak. Le Premier britannique Tony Blair a brisé les rangs avec le président Bush, après ces élections, déclarant que l’Iran se verrait proposer « un choix stratégique clair », qui pourrait comporter « un nouveau partenariat » avec l’Occident. Mais beaucoup de gens, tant à la Maison Blanche qu’au Pentagone, insistent à dire que le recours à la menace vis-à-vis de l’Iran est la seule manière de sauver l’Irak. « C’est un de ces cas classiques où on « repousse l’échec au lendemain », m’a dit un consultant auprès du Pentagone. « Ils croient qu’en bousculant l’Iran, ils compenseraient leurs pertes en Irak… c’est un peu comme à quitte ou double… ça serait une tentative de ressusciter le concept de démocratisation du Moyen-Orient, en créant un nouveau pays modèle ; ça ne serait jamais que le deuxième… »

L’idée qu’il y aurait une connexion entre l’Iran et l’Irak est assumée par Condoleezza Rice, qui a dit, le mois dernier, que l’Iran « doit comprendre qu’il ne va certainement pas améliorer sa propre situation en suscitant l’instabilité en Irak », ainsi que par Bush, qui a déclaré, au mois d’août, que « l’Iran soutient des groupes armés, dans l’espoir d’empêcher la démocratie de prendre racine » en Irak… Le consultant du gouvernement m’a dit : « De plus en plus de gens pensent que, seul, l’affaiblissement de l’Iran est susceptible de sauver l’Irak. »

Ce même consultant a ajouté que, pour certains partisans de l’intervention militaire, « le but, en Iran, n’est pas le changement de régime, mais une frappe qui envoie le signal que l’Amérique est toujours en mesure d’attendre ses buts. Même si cela ne détruit pas l’infrastructure nucléaire iranienne, beaucoup de gens pensent que trente-six heures de bombardements continuels sont seuls à même de rappeler aux Iraniens le prix très élevé qu’implique la poursuite de la recherche de la bombe nucléaire – ainsi que le prix à payer pour le soutien à Moqtada al-Sadr et à ses éléments pro-iraniens en Irak. » [Sadr, qui est à la tête d’une milice chiite irakienne, a (effectivement) des liens de nature religieuse avec l’Iran.]

Dans le dernier numéro de la revue Foreign Policy (Politique Etrangère), Joshua Muravchik, un néoconservateur en vue, argue du fait que l’administration américaine avait un choix très limité. « Ne vous y trompez pas : le Président Bush n’aura pas besoin de bombarder les installations nucléaires iraniennes avant de quitter le pouvoir" » écrit-il. Le Président serait très fortement critiqué s’il procédait à une frappe préemptive contre l’Irak, dit Muravchik, aussi les néoconservateurs doivent-ils « paver intellectuellement la voie, dès maintenant, et être prêts à défendre l’intervention, le moment venu. »

Le principal expert ès personnel du vice-président est David Wurmser, un néocon qui fut un partisan stridulent de l’invasion de l’Irak et du renversement de Saddam Hussein. Comme bien des gens, à Washington, Wurmser « pense que, jusqu’ici, il n’y a jamais eu d’étiquette de prix attachée à l’Iran en raison de ses efforts nucléaires et de son agitation et immixtions continuelles en Irak », m’a dit le consultant. Mais, à la différence des néocons de l’administration qui prônent des frappes limitées, Wurmser et consorts, dans le cabinet de Cheney, « veulent mettre fin au régime », m’a dit le consultant. « Ils invoquent l’argument qu’il ne saurait y avoir un jour une solution à la guerre en Irak, sans changement de régime en Iran. »

La planification d’une attaque militaire contre l’Iran par l’administration usaméricaine a été rendue beaucoup plus compliquée, voici quelques semaines de cela, par un projet d’évaluation hautement confidentiel de la CIA mettant en doute les présupposés de la Maison Blanche quant à la question de savoir à quel point l’Iran est près de la construction d’une bombe nucléaire. La CIA n’a trouvé aucune preuve concluante, à ce jour, d’un programme iranien secret de fabrication d’armes atomiques, en parallèle aux opérations civiles déclarées par l’Iran à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. [La CIA a refusé de commenter cette information].

L’analyse de la CIA, qui a été transmise à d’autres agences gouvernementales pour commentaires, était fondée sur des renseignements recueillis par des satellites géostationnaires, ainsi que sur d’autres preuves empiriques, comme des mesures de la radioactivité d’échantillons d’eau ou de panaches de fumées s’échappant d’usines et de centrales thermiques. D’autres données ont été rassemblées, m’ont rapporté des sources des services de renseignement, grâce à des appareillages high-tech [hautement secrets, aussi] de détection de la radioactivité, placés par des agents secrets usaméricains et israéliens [encore eux !… NdT] dans les parages d’installations suspectées de produire des armes nucléaires à l’intérieur du territoire iranien, depuis environ un an. Aucun degré de radioactivité inquiétant n’a été relevé.

Un haut responsable du renseignement en activité a confirmé l’existence de cette analyse de la CIA, et m’a dit que la Maison Blanche y était hostile. Le rejet par la Maison Blanche des constats de la CIA sur l’Iran est largement connu dans les milieux du renseignement. Cheney et ses assistants ont dézingué l’évaluation, m’a expliqué à son tour l’ancien haut responsable du renseignement mentionné plus haut. « Ils ne sont pas à la recherche d’un quelconque canon fumant », a ajouté le responsable, faisant allusion à des renseignements spécifiques au sujet des projets nucléaires de l’Iran. « Non : ce qu’ils recherchent, c’est tout simplement le niveau de confort dont ils pensent avoir besoin pour accomplir l’intervention qu’ils se sont mise en tête… » L’agence de renseignement en matière de défense [Defense Intelligence Agency – D.I.A.] du Pentagone a elle aussi mis en doute l’analyse de la C.I.A.. « La D.I.A. rejette les conclusions de l’agence [la CIA, ndT], et elle conteste l’approche qui a été la sienne », m’a dit l’espion à la retraite. Bush et Cheney, a-t-il poursuivi, peuvent tenter d’empêcher que l’évaluation de la C.I.A. soit incorporée dans une Estimation Nationale des Renseignements au sujet des capacités nucléaires de l’Iran, à paraître, « mais ils ne sont pas en mesure d’empêcher l’Agence de faire circuler son évaluation, pour commentaires, à l’intérieur de la communauté du renseignement. » L’évaluation de la C.I.A mettait en garde la Maison Blanche sur le fait qu’il serait erroné de conclure que l’échec à trouver un programme secret d’armement nucléaire en Iran signifierait que les Iraniens auraient réussi très brillamment à le dissimuler. L’ancien responsable du renseignement consulté m’a fait observer qu’au plus fort de la Guerre froide, les Soviétiques étaient tout aussi doués en matière de tromperie et d’inductions en erreur, et que néanmoins la communauté usaméricaine du renseignement avait été constamment en mesure de désembrouiller les détails concernant leurs programmes de missiles à longue portée et d’armes nucléaires. Mais d’aucun, à la Maison Blanche, dont le staff de Cheney, avait tout simplement formulé l’assomption selon laquelle « l’absence de preuve signifie qu’ils [ils = les Iraniens] l’ont très certainement » [l’ = la bombe, NdT], m’a dit l’ex-responsable du renseignement.

L’Iran est un pays signataire du traité de non-prolifération nucléaire, en vertu duquel il est autorisé à effectuer des recherches en matière nucléaire, à des fins pacifiques uniquement. En dépit de l’offre d’accords commerciaux et de la perspective d’une possible intervention militaire, l’Iran a rejeté une demande formulée par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique et le Conseil de sécurité de l’Onu, voici quelques mois, de mettre un terme à son enrichissement d’uranium – un procédé susceptible de produire tant du carburant pour des centrales nucléaires que des armes – et l’Iran a été incapable, ou n’a pas voulu, donner d’explications quant aux traces de plutonium et d’uranium détectées au cours d’inspections de l’AIEA. Celle-ci s’est plainte d’un manque de « transparence », bien qu’à l’instar de la C.I.A., elle n’ait pas non plus trouvé de preuves irréfutables de l’existence d’un programme secret de production d’armes.

La semaine passée, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a annoncé que l’Iran avait réalisé de nouveaux progrès dans son programme de recherche en matière d’enrichissement nucléaire, concluant : « Nous savons que cela ne plaira sans doute pas à certains pays ». Il a insisté sur le fait que l’Iran respecte les accords internationaux, mais il a précisé que « le temps est désormais totalement du côté du peuple iranien. » Un diplomate, à Vienne, où se trouve le siège de l’AIEA, m’a dit que cette agence était sceptique à propos de cette affirmation, pour des raisons techniques. Mais le ton de défi d’Ahmadinejad n’a rien fait pour diminuer les soupçons pesant sur les ambitions nucléaires iraniennes.

« Il n’existe aucun indice d’un programme d’enrichissement d’uranium à grande échelle, en Iran », a dit un diplomate européen concerné. « Mais les Iraniens ne se seraient pas lancés dans une confrontation extrêmement risquée avec l’Occident à propos d’un programme d’armements qu’ils ne poursuivraient plus… Leur programme d’enrichissement ne peut s’expliquer que par une volonté d’obtenir des armes nucléaires. Il est inconcevable qu’ils ne trichent pas, quelque part, dans une certaine mesure. Nul besoin d’un quelconque programme clandestin pour se faire des cheveux blancs à propos des ambitions nucléaires iraniennes. Nous disposons de suffisamment d’informations pour être préoccupés, sans cela. C’est un secret de polichinelle. »

Il peut, toutefois, y avoir d’autres raisons possibles à l’obstination iranienne. Le programme nucléaire iranien – qu’il soit pacifique, ou non – est une source de grande fierté nationale pour les Iraniens, et le soutien que lui apporte le président Ahmadinejad a contribué à propulser celui-ci à des sommets de popularité inouïs. [Saddam Hussein avait quant à lui brouillé les pistes, des années durant, tant à l’intérieur de l’Irak qu’à l’étranger, quant à la question de savoir si l’Irak avait ou non des armes de destruction massive, en partie afin de projeter de lui-même une image d’homme fort.] D’après l’ex-haut responsable du renseignement usaméricain, l’évaluation de la C.I.A. suggérait que l’Iran pourrait même voir un certain bénéfice dans une frappe militaire limitée – en particulier au cas où celle-ci ne parviendrait pas à détruire totalement son programme nucléaire – en ceci qu’une telle attaque pourrait renforcer la position de ce pays dans le monde musulman. « Ils ont appris cela grâce à l’expérience irakienne, et ils l’ont réappris au Sud-Liban… » a-t-il expliqué. Dans les deux cas, une force militaire incommensurablement plus puissante a eu du fil à retordre pour atteindre ses objectifs tant militaires que politiques ; au Liban, la guerre lancée par Israël contre le Hezbollah n’est pas parvenue à détruire entièrement l’arsenal de missiles de cette formation militarisée [très loin de là… NdT] ; en revanche, elle a magistralement réussi à augmenter la popularité de son leader, Hassan Nasrallah [ce qui n’était pas vraiment l’objectif initial… NdT]

L’ancien agent du renseignement a ajouté que l’évaluation de la C.I.A. soulevait la possibilité qu’une attaque usaméricaine contre l’Iran pourrait in fine servir de point de ralliement permettant d’unifier les populations sunnites et chiites [dans l’ensemble du monde musulman, NdT]. « Une attaque usaméricaine aplanira tous les différends dans le monde arabe, et nous nous retrouverons avec les Syriens, les Iraniens, le Hamas et le Hezbollah, unis et combattant contre nous– et aussi, avec des Saoudiens et des ةgyptiens se posant des questions au sujet de leurs relations avec l’Occident. C’est le pire cauchemar que puisse faire un analyste – car, pour la première fois depuis la disparition du Califat, il y aura une cause commune, au Moyen-Orient… » [le cauchemar de la C.I.A. est mon rêve, NdT] [Un califat musulman a régné dans l’ensemble du Moyen-Orient durant plus de six siècles, jusqu’à sa dissolution, au treizième siècle de l’ère chrétienne.]

D’après le conseiller du Pentagone, « la C.I.A. est d’avis qu’à défaut de poursuivre la collecte de renseignements, une attaque par bombardements massifs ne parviendrait pas à arrêter le programme nucléaire de l’Iran. Quant à une campagne de basse intensité, à base de subversion et de sabotages, elle ne ferait que servir l’Iran, en galvanisant le soutien de la population aux dirigeants religieux de ce pays et en approfondissant la rage anti-américaine des musulmans. »

Le consultant au Pentagone m’a dit que lui-même et beaucoup de ses collègues appartenant à l’armée pensent que l’Iran est en train de développer activement une capacité nucléaire militaire. Mais il a précisé que les options de l’administration Bush face à cette menace étaient très limitées, en raison de l’absence de renseignement valable, et aussi parce que « nous avons déjà crié au loup, par le passé… » [allusion aux ADM introuvables en Irak… NdT]

Tandis que l’évaluation de la C.I.A. continuait à circuler dans les milieux gouvernementaux usaméricains, à la fin de l’été, d’ex-officiers et des officiers d’active, ainsi que des consultants m’ont dit qu’un nouvel élément avait soudainement fait surface : des renseignements provenant d’espions israéliens opérant en territoire iranien affirmaient que l’Iran avait d’ores et déjà mis au point, et même testé, un dispositif de détonateur destiné à une bombe nucléaire. Tant la provenance et que la teneur de ce « renseignement humain » [HUMINT, en jargon du milieu de l’espionnage] sont sujets à caution. « Le problème, c’est que personne ne peut aller vérifier… », m’a dit l’ex-agent du renseignement [sans doute encore un antisémite, qui ne croit pas des espions israéliens sur parole ! NdT]. « Nous ne savons pas qui sont, au juste, ces informateurs israéliens. Le briefing indique que les Iraniens sont en train de tester des détonateurs » - en simulant une explosion nucléaire à blanc, c’est-à-dire en l’absence de matières fissiles de classe militaire – « mais il n’y a aucun graphique, aucun fait significatif. Où se trouve le site de ces tests ? Combien de fois les Iraniens ont-ils répété ces essais ? Quelle était la taille de la tête nucléaire à blanc – une boîte à pain, ou un frigo ? Ils n’ont strictement aucune info sur tous ces points… » Et pourtant, a poursuivi mon interlocuteur, ce rapport a été utilisé par les fauconneaux de la Maison Blanche intégrés à l’exécutif, pour « démontrer la théorie en cours à la Maison Blanche, selon laquelle les Iraniens seraient déjà sur les rails… Et des tests de détonateurs [non-nucléaires, fussent-ils destinés à déclencher une explosion nucléaire… NdT] ne laissent aucune signature radioactive ; c’est la raison pour laquelle nous ne pouvons les détecter. » « Reste », a-t-il conclu, « qu’[heureusement], la C.I.A. reste ferme, sur ses positions. »

Par contre, le consultant auprès du Pentagone m’a dit, quant à lui, que lui-même et d’autres spécialistes ès renseignement pensaient que les renseignements de source israélienne devraient être davantage prises au sérieux. « Nous vivons en des temps où les renseignements techniques d’origine étatique – c’est-à-dire des données obtenues au moyen de satellites et de détecteurs disposés au sol – ne sont plus en mesure de nous fournir ce dont nous avons besoin. Les « humint » [renseignements fournis par des espions en chair et en os] ne sont peut-être pas des preuves irréfutables, pas à ce même niveau, mais bien souvent ce sont les meilleurs renseignements que nous puissions obtenir. » [Ils n’ont pas l’air de se rendre compte que le brave paysan irakien, dans 99 % des cas, se fout royalement de leur tronche… NdT] Il a poursuivi, avec une exaspération non dissimulée, que dans les milieux du renseignement, « nous allons être amenés à nous chamailler au sujet de la qualité des infos, dans les années à venir… » Dans le cas d’espèce, une des raison de ces chamailleries, m’a-t-il expliqué, tenait notamment au fait que la Maison Blanche avait exigé de voir le « bleu » - l’info originale, non analysée et non censurée – des services israéliens de renseignement. Or, c’est ce genre d’ « extorsion d’info par le conduit de la cheminée » qui avait conduit à des conclusions erronées quant à la soi-disant existence d’armes de destruction massive au cours de la montée en puissance de la guerre de 2003 contre l’Irak. « Beaucoup de présidents usaméricains ont fait la même chose, dans le passé », m’a expliqué le consultant, qui a ajouté : « mais les pros du renseignement sont toujours horrifiés quand un Président leur demande des infos brutes… Pour eux, c’est comme si on demandait à un écolier en CE1 de lire l’Odyssée en version originale… »

Certes, ces « humints » peuvent être difficile à évaluer. Certains des renseignements les plus significatifs politiquement – et aussi les plus inexacts – au sujet des armes de destructions massive alléguées de l’Irak provenaient d’un agent, connu sous le nom codé de Curveball [je pense que cela signifie « balle frittée » !, NdT], qui avait été initialement « prêté » à la C.I.A. par les renseignements allemands. Mais le consultant auprès du Pentagone a insisté sur le fait que, dans le cas qui nous intéresse, « le renseignement israélien est apparemment très solide. » Il m’a dit que l’information concernant le détonateur avait été confirmée par une autre forme de données hautement secrètes, connues sous le nom de « MASINT », acronyme pour « renseignement à base de mesures et de signature ». La D.I.A. [Defense Intelligence Agency] est le lieu central de traitement et de dissémination de ce type de renseignement, qui englobe des données obtenues au moyen de radar, par radio, par mesures de radioactivité et par des mesures électro-optiques. Le consultant m’a dit que ces « masint »s indiquaient des activités « ne correspondant pas aux programmes de recherche » déclarés par l’Iran à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. « Les renseignements obtenus suggèrent une sophistication plus importante et un développement plus avancé du programme », m’a expliqué le consultant. « Ces indices sont inexplicables, sauf à ce qu’ils [les Iraniens] ne soient plus avancés dans divers aspects de leur programme d’armement nucléaire que nous le soupçonnions. »

Début 2004, John Bolton, à l’époque sous-secrétaire d’Etat pour le contrôle des armements (et qui est aujourd’hui ambassadeur US à l’ONU), avait communiqué, à titre privé, à l’AIEA ses soupçons que l’Iran était en train d’effectuer des recherches dans le domaine des détonations chronologiquement complexes d’explosifs conventionnels nécessaires au déclenchement d’une tête nucléarisée à Parchin, une installation sensible située à une centaine de kilomètres au sud-ouest de Téhéran, servant de centre de recherches à l’Organisation Iranienne des Industries de Défense. Un vaste catalogue de munitions chimiques et de carburants, ainsi que de missiles sophistiqués anti-tanks et sol-air sont fabriqués dans ce centre, et des images satellites semblaient montrer un bunker utilisable afin de tester de très puissantes explosions.

Un diplomate de haut rang en poste à Vienne m’a dit qu’à la suite de ces allégations, des inspecteurs l’AIEA se sont rendus à Parchin, en novembre 2005, après des mois de négociations. Une équipe d’inspecteurs fut autorisée à désigner un site spécifique à l’intérieur de cette base, après quoi on leur accorda l’accès à quelques bâtiments (seulement). « Nous n’avons trouvé aucun indice de substances radioactives », m’a dit le diplomate. Les inspecteurs ont passé au peigne fin un puits d’essais d’explosions souterraines qui, a-t-il précisé, « ressemblait beaucoup à ceux dont s’était dotée l’Afrique du Sud à l’époque où elle développait sa bombe nucléaire [On a tendance à l’oublier, celle-là ! NdT], il y a une trentaine d’années. Ce puits aurait pu être utilisé pour effectuer le genre de recherches cinétiques nécessaires à la mise au point d’un détonateur de bombe nucléaire. Mais, comme bien des installations militaires au potentiel d’utilisation dual, c’est-à-dire à la fois militaire et civil, « ce puits aurait servir, tout aussi bien, à d’autres fins », comme des tests de carburants destinés à des missiles, activité routinière à Parchin. « Les Iraniens ont fait la démonstration qu’ils étaient à même d’enrichir de l’uranium », a ajouté le diplomate, « et ils ont peut-être pu, effectivement, testé des détonateurs de bombes atomiques, même en l’absence de matières fissiles, c’est tout à fait possible. Mais c’est un processus extrêmement sophistiqué – cette opération est également connue sous l’intitulé de test hydrodynamique – et, seuls des pays disposant d’installations de tests d’armes nucléaires suffisamment développées, ainsi que d’une expertise scientifique adéquate, peuvent y procéder. Je doute fort, personnellement, que l’Iran ait été en mesure de le faire. »

Au début de ce mois, des allégations autour du centre iranien de Parchin ont refait surface, le quotidien israélien le plus diffusé, Yediot Ahronot ayant écrit que des images récentes obtenues par satellite montraient d’ « impressionnants travaux de constructions » à Parchin, suggérant une expansion de galeries et d’espaces sous-terrains. Le quotidien critiquait vertement la manière dont sont effectuées les inspections de l’AIEA, ainsi que son directeur, le Dr. Mohamed El-Baradei, en raison de son insistance à « recourir à des termes excessivement neutres lorsqu’il rend compte de ses constatations et de ses conclusions. »

Patrick Clawson, un spécialiste de l’Iran qui est aussi adjoint au directeur des recherches au Washington Institute for Near East Policy, une boîte à idées conservatrice, m’a dit que le « pire moment » de tension est encore à venir : « Comment les USA pourraient-ils faire en sorte qu’un point de non-retour israélien – qui risque fort d’arriver bien plus tôt que nous le souhaiterions – ne soit pas atteint ? » Clawson a fait observer qu’il existe des preuves que l’Iran a été retardé, par des problèmes techniques, dans la construction et la mise en production de deux cascades de petites centrifugeuses, indispensables à la production pilote d’uranium enrichi. Ces deux cascades de centrifugeuses sont aujourd’hui placées sous le contrôle de l’AIEA. « Pourquoi les Iraniens ont-ils mis tant de temps à monter et à faire fonctionner la seconde cascade ? » s’est interrogé Clawson. « Et pourquoi n’ont-ils pas fait fonctionner la première au niveau d’intensité qu’ils avaient annoncé ? Avons-nous encore du temps ? »

« Pourquoi parler de guerre ? », demande-t-il. « Il n’est pas question, que je sache, de partir en guerre contre la Corée du Nord, ou le Venezuela. Le problème, ça n’est pas nécessairement que l’Iran aurait engagé un programme d’armements nucléaires, et il est concevable – concevable, seulement – que l’Iran n’a pas encore de programme d’armements nucléaires. Nous pouvons donc ralentir les Iraniens – les contraindre à réinventer la roue – sans les bombarder, en particulier au cas où la conjoncture internationale s’améliorerait. »

Clawson a ajouté que la secrétaire d’Etat [Condy] Rice avait « bâti sa réputation sur la diplomatie, et qu’elle ne va pas risquer sa carrière en l’absence de preuves. Son équipe dit actuellement : « Pourquoi se précipiter ? Le Président veut résoudre la question iranienne avant de quitter le pouvoir, mais il sera peut-être bien obligé [l’ayant quitté] à dire : « Ah, la vache, j’aurais drôlement aimé résoudre cette question ! »

Voici quelques mois, le gouvernement dirigé par le Premier ministre israélien Ehud Olmert a créé une force ad hoc chargée de coordonner tous les renseignements possibles et imaginables disponibles sur le compte de l’Iran. Cette « task force », dirigée par le major général Eliezer Shkedi, commandant de l’aviation israélienne, réfère directement au Premier ministre. Fin octobre, Olmert a nommé Ephraim Sneh, un député travailliste à la Knesset, vice-ministre de la Défense. Sneh, qui a déjà occupé cette fonction sous Ehud Barak, insiste depuis des années sur la nécessité de passer à l’action afin d’empêcher l’Iran d’obtenir la bombe. Dans une interview publiée voici quelques jours par le quotidien (en anglais) Jerusalem Post, Sneh a exprimé son scepticisme quant à l’efficacité à faire ployer l’Iran, tant de la diplomatie que de sanctions internationales :

« Le danger n’est pas tant qu’Ahmadinejad décide de lancer une attaque, mais bien qu’Israël se retrouve à vivre sous un épais nuage de peur, émanant d’un dirigeant qui s’est juré de le détruire… La plupart des Israéliens préféreraient ne pas vivre ici ; la plupart des juifs préféreraient ne pas venir ici avec leur famille, et les Israéliens en mesure de vivre à l’étranger le feraient… Je crains qu’Ahmadinejad ne soit en mesure de tuer le cauchemar [oups : le rêve, NdT] sioniste sans même à avoir à appuyer sur un bouton [Même celui de la minuterie, un samedi ? ? NdT]. C’est la raison pour laquelle nous devons absolument empêcher ce régime d’obtenir une capacité nucléaire, coûte que coûte ».

Un message similaire a été formulé par Benjamin Netanyahu, chef du parti Likoud, au cours d’un discours prononcé à Los Angeles, la semaine passée. « Nous sommes en 1938, et l’Iran, c’est l’Allemagne. Et l’Iran s’empresse de se doter d’armes nucléaires », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il « était encore temps » d’arrêter les Iraniens.

L’expert auprès du Pentagone m’a dit que même s’il y a sans doute des pressions provenant des Israéliens, « ceux-ci ne feront rien d’eux-mêmes, sans avoir reçu notre feu vert » [comme c’est l’AIPAC qui actionne les feux de circulation aux States, on est tranquilles ! NdT] Cette assurance, a-t-il précisé, « provient de la boutique de Cheney. C’est Cheney en personne qui le dit : « Nous n’avons pas l’intention de vous laisser en plan, mais ne vous lancez pas sans nous… » Un haut diplomate européen confirme : « Pour Israël, c’est une question de vie ou de mort. Les USA ne veulent pas aller en Iran, mais, si Israël continue à être de plus en plus préoccupé, il risque de ne pas y avoir d’autre choix. » [Si : laisser l’Iran terminer Israël… NdT]

Un Iran doté d’armes nucléaires, voilà qui ne menacerait pas seulement Israël. Cela pourrait déclencher une courses aux armements stratégiques dans l’ensemble du Moyen-Orient, car l’Arabie Saoudite, la Jordanie et l’ةgypte – tous pays dirigés par des gouvernements sunnites [avec des populations à 95 % sunnites, ça tombe bien, NdT] – seraient contraintes à prendre des mesures afin de se défendre. L’administration Bush, au cas où elle prendrait des mesures militaires à l’encontre de l’Iran, bénéficierait du soutien tant des Démocrates que des Républicains. Les Sénateurs Hillary Clinton, de New York, et Evan Bayh, de l’Indiana, deux candidats démocrates potentiels à la présidence, ont averti qu’il n’est pas possible de permettre à l’Iran de construire la bombe et que – comme l’a dit Hillary Clinton voici quelques mois – « nous ne saurions écarter aucune des options qui sont sur la table… ». Howard Dean, président du Comité National Démocratique, a lui aussi endossé cette opinion. En mai dernier, Olmert a bénéficié d’une ovation debout lors d’une allocution prononcée devant une session conjointe du Congrès, lorsqu’il avait déclaré : « Un Iran nucléarisé, cela voudrait dire qu’un pays terroriste serait à même de mener à bien la mission première pour laquelle les terroristes vivent et meurent : la destruction de vies humaines innocentes. Ce défi, que je considère le test de notre génération, l’Occident ne peut se payer le luxe de ne pas le relever. »

En dépit de ces élans rhétoriques, Leslie Gelb, un ancien responsable du Département d’ةtat, aujourd’hui président honoraire du Conseil des Relations Extérieures, a dit qu’il pensait que « quand ce sera vraiment le moment, les Israéliens auront bien du mal à vendre l’idée que l’obtention par l’Iran d’une capacité nucléaire est imminente. L’armée et le Département d’ةtat seront carrément contre toute campagne de bombardements préemptive. » Gelb a ajouté qu’il espérait que la nomination de Gates ajouterait du poids à ce qui est le problème le plus urgent à résoudre, pour l’Amérique : « obtenir un certain niveau de retenue de la part de l’Iran, en Irak. Durant les deux ou trois années à venir, nous avons bien plus de chance de nous retrouver en train de négocier avec les Iraniens, qu’en train de les bombarder ! »

Officiellement, l’administration Bush reste attachée à une solution diplomatique à l’impasse nucléaire iranienne, et elle coopère avec la Chine, la Russie, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne en vue d’obtenir une reprise des négociations. Jusqu’ici, cet effort a été vain ; la dernière session de pourparlers s’est soldée par un échec, voici quelques jours, dans un contexte de désaccords croissants de la Chine, et de la Russie, quant à la nécessité d’imposer de dures sanctions onusiennes au régime iranien. Le Président Bush n’en démord pas : l’Iran doit arrêter tous ses programmes d’enrichissement d’uranium avant que d’éventuels pourparlers impliquant les USA puissent être engagés.

Le haut diplomate européen m’a dit que le président français, Jacques Chirac, et le président usaméricain Bush se sont rencontrés, à New York, le 19 septembre, à l’ouverture de la nouvelle session de l’Onu, et qu’ils sont tombés d’accord sur ce que le Français a appelé l’approche « Big Bang » [Que va dire le conseil de la francophonie ? NdT] censée permettre de casser le bras de fer avec l’Iran. Un scénario a été présenté à Ali Larijani, principal négociateur iranien sur la question du nucléaire. La délégation occidentale s’assoirait à la table des négociations, avec l’Iran. Le diplomate m’a dit : « Nous dirions : « Nous commençons ces négociations sans aucun préalable », et les Iraniens répondraient : « Nous allons suspendre… [l’enrichissement… ; pas les négociations… NdT] ». Notre côté enregistrerait sa grande satisfaction, et les Iraniens accepteraient que l’AIEA inspecte ses installations d’enrichissement de l’uranium. Après quoi, l’Occident annoncerait, en échange, qu’il était prêt à suspendre toute sanction de l’ONU. » Les USA ne seraient pas présents à la table, au début de ces négociations, mais ils s’y joindraient, un peu plus tard… Larijani a emporté cette proposition dans sa valise pour la présenter à Téhéran ; la réponse, transmise là encore par Larijani, fut négative », m’a expliqué le diplomate. « Nous étions en train d’essayer de trouver un compromis, convenant à toutes les parties prenantes, mais Ahmadinejad n’a absolument pas tenu à se sauver la face, contrairement à ce qui était prévu », m’a dit le diplomate. « Le magnifique scénario était allé à vau-l’eau » [Normal ;c’était coproduit par les Chirac’s Boys… NdT]

La semaine dernière, il y eut un surcroît d’espoir que l’Iraq Study Group soit en mesure de produire une série de recommandations susceptible d’être approuvées par les deux partis (démocrate et républicain) et d’extraire l’Usamérique du bourbier irakien. Des sources directement associées aux débats du panel de cette institution m’ont dit que ce groupe, vers la mi-novembre, avait exclu tout appel à un retrait usaméricain immédiat et complet [d’Irak], mais qu’elle allait recommander de se focaliser sur l’amélioration de l’entraînement de l’armée irakienne et sur le redéploiement des troupes usaméricaines. Dans la recommandation la plus significative, Baker et Hamilton allaient vraisemblablement presser le président Bush de faire ce qu’il a jusqu’ici refusé de faire, à savoir amener la Syrie et l’Iran à participer à une conférence régionale visant à contribuer à la stabilisation de l’Irak.

On ne sait pas encore très bien si l’Administration usaméricaine va se montrer réceptive. En août, d’après l’ex-responsable du renseignement, Rumsfeld a demandé aux chefs d’états majors unifiés d’imaginer tranquillement des plans pour l’Irak, et de mettre des options sur toutes les nouvelles propositions, qu’elles émanent de la nouvelle majorité démocrate ou de l’Irak Study Group. « L’option de dernier recours étant de faire sortir les troupes usaméricaines des villes irakiennes et de les repositionner tout au long des frontières irako-syriennes [ne pas oublier le stock de Coca-Cola ! ! !NdT] et irako-iraniennes [idem ! ! !], m’a-t-il dit. « Des civils seraient recrutés afin de former la police irakienne, dans le but éventuel de séparer la police locale de l’armée irakienne. La Maison Blanche est persuadée que si des troupes usaméricaines restent en Irak suffisamment longtemps – avec suffisamment d’hommes – les mauvais garçons finiront par s’entredéchirer et que les citoyens irakiens, ayant une indigestion de guerre civile, finiraient par trouver une solution. Il faudra beaucoup de temps pour déplacer les troupes et pour former la police irakienne. Cela revient à fixer comme délai, disons… l’éternité ! »

Lors d’une interview ultérieure, l’ancien responsable de l’administration Bush m’a dit qu’il s’était entendu dire, lui aussi, que le Pentagone travaille depuis quelque temps à un projet, pour l’Irak, prônant le retrait de l’armée usaméricaine des principales villes d’Irak et leur repositionnement dans une série de bases fortifiées près des frontières de ce pays. L’hypothèse de travail était qu’une fois les troupes usaméricaines auraient quitté les zones les plus densément peuplées, la violence sectaire finirait par s’ « éteindre d’elle-même ». « La Maison Blanche dit qu’elle va s’employer à stabiliser la situation », a poursuivi l’ancien responsable gouvernemental, « mais il pourrait bien se faire qu’elle stabilise quelque chose, certes, mais dans le mauvais sens… »

Il y a un petit problème, dans la proposition que l’administration usaméricaine enrôle l’Iran afin de parvenir à un règlement du conflit en Irak, c’est qu’il n’est pas du tout évident que l’Iran puisse être en quoi que ce soit intéressé par cette manip, d’autant que le but ultime est d’aider l’administration Bush à s’extirper d’une situation déplorable [qui ne peut que réjouir Téhéran]…

« L’Iran est en train de ré-émerger en tant que puissance dominante au Moyen-Orient », m’a dit un spécialiste du Moyen-Orient, ancien officiel de l’administration usaméricaine. « Avec un programme nucléaire, et une capacité d’interférer dans l’ensemble de la région du Moyen-Orient, c’est l’Iran qui décide… Pourquoi les Iraniens pourraient-ils bien vouloir coopérer avec nous sur la question de l’Irak ? » Il m’a relaté une de ses rencontres récentes avec Mahmoud Ahmadinejad, qui a défié le droit que s’arroge Bush de dire à l’Iran qu’il n’a pas le droit d’enrichir d’uranium. « Et l’Usamérique, pourquoi continue-t-elle à enrichir de l’uranium ? », lui a demandé le président iranien. Après quoi, il s’est mis a rire, ajoutant :

« Arrêtez donc d’en enrichir. Une fois que vous aurez cessé de le faire, nous enrichirons de l’uranium pour vous, et nous vous le vendrons avec un rabais de cinquante pour-cent ! ! »

The New Yorker
Traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier et révisé par Fausto Giudice, membres de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique.


liens
http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=1620&lg=fr

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