mardi, août 22, 2006

Le nouveau Moyen-Orient

Le bon sens a prévalu. La majorité des troupes israéliennes envoyées au Sud-Liban la semaine dernière s’est déjà repliée et les mille ou deux mille hommes qui sont encore sur place reviendront à l’intérieur des frontières israéliennes d’ici la fin de cette semaine. Ils n’attendront pas que l’armée libanaise et la force internationale de maintien de la paix promise arrivent et « désarment le Hezbollah ». Ils fichent le camp.

La décision in extremis de déposer par avion les troupes israéliennes au cœur des mille kilomètres carrés qui vont du Liban Sud au fleuve Litani était raisonnable du point de vue politique. De cette manière, Israël n’a pas eu à combattre pour pénétrer dans cette zone et subir - inévitablement - de lourdes pertes humaines. Il a seulement profité de son contrôle total des airs pour envoyer des troupes aéroportées dans des zones peu défendues par le Hezbollah juste avant le cessez-le-feu, dans le but de donner l’impression qu’il avait vaincu le mouvement et ses guérilleros et pris le contrôle du Sud-Liban.

En réalité, ces groupes isolés de soldats ne contrôlaient rien de précieux et étaient encerclés de presque tous les côtés par des combattants invaincus du Hezbollah. Le Hezbollah n’aurait pas résisté beaucoup plus longtemps à la tentation d’attaquer ces unités israéliennes plus exposées, voire peut-être d’en forcer certaines à capituler. Maintenant, donc, les troupes israéliennes battent en retraite afin de ne pas offrir au Hezbollah des cibles faciles.

Le chef d’état-major de l’armée israélienne, le général Dan Haloutz, a eu raison de prendre cette décision, mais elle prive Israël de sa dernière possibilité de tirer un quelconque bénéfice politique de l’impasse militaire au Sud-Liban. Le Hezbollah affirme qu’il n’a aucunement l’intention de rendre les armes ; de son côté le ministre de la Défense libanais Elias Murr déclare que son armée ne tentera pas de désarmer le Hezbollah. Les Français, qui sont censés diriger la force onusienne de maintien de la paix - fortement élargie - dans cette région affirment qu’ils n’engageront pas leurs troupes tant que le Hezbollah n’aura pas désarmé.

En définitive, nous assisterons sans doute à une sorte de subterfuge qui devrait permettre au moins à un nombre symbolique de soldats de l’armée libanaise et à une force onusienne quelque peu élargie d’opérer au Sud-Liban. Cependant, le Hezbollah restera en place et ses armes aussi. Plus d’un millier de personnes ont été tuées, une grande partie des infrastructures libanaises a été détruite, le nord d’Israël a également subi d’importants dommages et, au bout du compte, Israël n’est parvenu à aucun de ses objectifs avec cette « guerre délibérée ».

Au même titre que l’invasion américaine en Irak, l’assaut d’Israël contre le Hezbollah était une « guerre choisie ». Dans le New Yorker de cette semaine, le journaliste américain Seymour Hersh affirme que l’administration Bush a donné son approbation voilà plusieurs mois. Le San Francisco Chronicle nous apprend, par ailleurs, qu’un officier haut gradé de l’armée israélienne avait, il y a plus d’un an, fait des présentations PowerPoint du plan de l’opération à des publics occidentaux choisis.

« En 2004, la campagne militaire programmée pour durer environ trois semaines, à laquelle nous assistons maintenant, avait déjà été entamée ; depuis un an ou deux, elle a fait l’objet de simulations et de répétitions systématiques », a déclaré le professeur Gerald Steinberg de l’Université de Bar Ilan dans un entretien paru dans le Chronicle.

Ce plan a séduit le Premier ministre israélien Ehoud Olmert car, compte tenu de son inexpérience militaire, il avait besoin de la crédibilité que l’on acquiert après avoir dirigé une opération militaire d’envergure. Sans cela, son plan - qui impose de manière unilatérale les frontières dans les territoires occupés de Cisjordanie, qui engloberaient les principales colonies juives au sein d’Israël, cédant le reste aux Palestiniens - n’aurait pas bénéficié de suffisamment de soutien. C’est pourquoi il a saisi le prétexte de l’enlèvement de deux soldats israéliens et la mort de trois autres par le Hezbollah, le 12 juillet dernier, au cours d’interminables attaques réciproques le long de la frontière nord, pour lancer un assaut total sur le mouvement du Hezbollah.

Mais cela n’a pas fonctionné comme prévu. Les forces armées israéliennes ont été efficacement paralysées par une force de guérilla peu armée mais extrêmement bien entraînée et disciplinée. À intérieur comme à l’étranger, les retombées seront considérables.

À quelque chose malheur peut être bon pour Israël, si cette défaite persuadait suffisamment d’électeurs israéliens que compter uniquement sur la force militaire pour anéantir et subjuguer leurs voisins arabes ne mène à rien politiquement. Mais il y a peu de chances que cela arrive. L’homme politique qui bénéficiera vraisemblablement de cette pagaille est le plus radical de la droite dure israélienne, Benyamin Netanyahou. Ce dernier a quitté le parti du Likoud avec fracas l’an dernier pour protester contre la politique de retrait de la Bande de Gaza occupée de l’ancien Premier ministre Ariel Sharon.

Le Likoud s’en est alors vu scindé et Sharon a été obligé de créer un nouveau parti, Kadima, qui domine désormais le centre-droit de l’échiquier politique israélien et constitue le noyau du gouvernement de coalition d’Olmert. Néanmoins, le Kadima pourrait ne pas survivre longtemps à cette guerre désastreuse, et l’héritier qui se profile, à la tête d’un Likoud renaissant, n’est autre que Netanyahou. Aussi, le dernier sondage d’opinion en Israël lui donnait un taux de soutien de 58 pour cent. Plus grave sur le long terme... c’est l’érosion du mythe d’invincibilité militaire d’Israël. Il est toujours plus économique de faire peur à vos ennemis et de les réduire à la soumission que de les combattre par les armes. Seulement, cela fait plusieurs années que les Arabes se défont de leur crainte d’Israël. Cette défaite risque d’accélérer fortement la tendance, or les Arabes sont bien plus nombreux que les Israéliens.

Le président syrien, Bachar al-Assad, a résumé la question de manière un peu brutale mais toutefois juste en déclarant, lundi, qu’Israël était à « un carrefour historique. Soit il se dirige vers la paix et rend (aux Palestiniens, aux Syriens et aux Libanais) leurs droits (dans les territoires occupés), soit il devra faire face à une instabilité chronique, jusqu’à ce qu’une génération (arabe) vienne mettre un terme au problème ». Il n’a bien évidemment pas ajouté qu’une victoire militaire arabe sur Israël signifierait dans les faits la fin des Arabes, puisqu’Israël dispose de centaines d’armes nucléaires.

Par Gwynne Dyer, journaliste indépendant basé à Londres

liens
http://www.lopinion.ma/article.php3?id_article=13137

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