jeudi, juillet 20, 2006

Sur la route de l'exode vers la Syrie, des Libanais meurtris crient leur colère à l'égard d'Israël

LE MONDE 18.07.06 14h14
DAMAS (Syrie), BAALBECK (Liban) ENVOYÉE SPÉCIALE

Une nuit terrible de bombardements", c'est le plus vieux souvenir de Marta. Elle avait 3 ans, en 1983, quand les avions israéliens ont pilonné son village, dans le sud du Liban. Elle se souvient des vrombissements du ciel, du fracas des bombes, de la frayeur de son père. Celui-ci l'avait allongée dans la baignoire, avant de la recouvrir de son corps. Marta se souvient que, lorsque son père s'est relevé, le plafond de la salle de bains était ouvert sur les étoiles. Ses souvenirs se sont transformés en cauchemars bien réel. Aujourd'hui, à 26 ans, elle fuit son pays pour oublier. Personne ne veut revivre ça.

Comme elle, ils sont des milliers à fuir le Liban vers la Syrie, dernière issue depuis la fermeture de l'aéroport et le blocus maritime imposé par Israël. Le poste-frontière est un véritable capharnaüm où les Mercedes rutilantes, immatriculées en Arabie saoudite ou au Koweït, côtoient les Peugeot croulant sous le poids des valises, les bus bondés et les convois du Croissant-Rouge en provenance du Sud. "Nous essayons de mettre les enfants à l'abri, soupire ce père de famille. Nous attendons à la frontière depuis 5 heures ce matin."

Il est 14 heures, sous un soleil de plomb. Les plus pauvres s'entassent dans des camions agricoles, en équilibre au-dessus des matelas, des sacs de vêtements et de nourriture, roulant vers la campagne syrienne. Les plus riches filent vers les hôtels de Damas. Les établissements de la capitale syrienne affichent complet. Autour de l'aéroport, les embouteillages sont monstrueux.

Au Liban, les bombardements incessants frappent n'importe où, bloquant les routes, transformant le pays en un labyrinthe mortel où les impasses sont de plus en plus nombreuses. Même les plus petits villages sont touchés. Dans la vallée de la Bekaa, une bombe a été larguée, lundi 17 juillet, sur le hameau de Taraya. Le cratère a englouti trois maisons, dans lesquelles vivaient un facteur, un enseignant, un chauffeur de taxi et leurs familles. Par miracle, il n'y a pas eu de morts. Seul le vieux Ali Hamzé, 73 ans et père du facteur, a été blessé. Son dos est percé d'éclats de verre et sa joue gauche déchirée de l'oreille jusqu'au menton.

Sur l'amas de ruines, les voisins l'entourent en signe de solidarité, tout en guettant le ciel. Un bambin se tient debout, un vieux fusil français à la main. Ali Hamzé fulmine : "Qu'est-ce qu'on a fait, ma maison et moi ? En quoi sommes-nous un objectif militaire ? Il n'y a ici que de pauvres bicoques avec des gens normaux, qui veulent une vie normale." "Les responsables, répond Anouar, le chauffeur, c'est Israël et tous ceux qui le soutiennent : les Etats-Unis, la France, l'Allemagne et l'Italie avec leur fameuse "civilisation''.

Il y a peu, Paris, Berlin et Rome n'auraient pas figuré sur la liste noire des habitants de Taraya. Mais depuis la résolution 1559 de septembre 2004, pensent ces derniers, tous se sont beaucoup mêlés des affaires libanaises sans réfléchir aux conséquences.

"Aujourd'hui, c'est le désastre. Qu'ils aillent au diable avec leur civilisation !" Dans l'assemblée, un militaire prend la parole : "Qu'attendent-ils de l'armée libanaise ? Est-ce que notre armée possède des avions ? Est-ce qu'elle possède des armes ? Est-ce qu'elle peut agir ? Non ! Elle n'a rien ! Regardez-moi, s'esclaffe-t-il, je ne porte même pas d'arme !"

Taraya, à 30 km de Baalbeck, est majoritairement chiite, comme le reste de la région. Les portraits des ayatollahs iraniens Khomeiny et Ali Khamenei sont aussi nombreux que les drapeaux du Amal et du Hezbollah, les deux principaux partis chiites. "Je n'ai jamais soutenu le Hezbollah, se défend Ali Hamzé, mais aujourd'hui je suis avec eux et le resterai, même si nous devons tous mourir !"

Les voisins approuvent, sourds à l'idée que la milice chiite ait pu être à l'origine de leur malheur en enlevant deux soldats israéliens. "Seul le Hezbollah peut nous défendre", renchérit une paysanne.

La colère a été attisée par les bombardements des trois derniers jours. Sur la route de Baalbeck, la laiterie Liban Lait a été frappée dans la nuit de samedi à dimanche. L'usine reste la proie des flammes, dégageant une atroce odeur de plastique brûlé. "C'est clair, analyse Chadi Qarsifi, qui surveille l'incendie : les Israéliens détruisent tout ce qui nous fait vivre : les ponts, les réservoirs d'eau, les centrales électriques et même la laiterie !" La caserne militaire jouxtant la laiterie pourrait suggérer qu'il y a eu une erreur de tir. Ce serait sans compter la précision chirurgicale avec laquelle sept stations-service ont été réduites en poussières le long de la route.

Baalbeck, fief du Hezbollah dans la Bekaa mais aussi haut lieu touristique fourmillant d'activités commerciales, a baissé tous ses stores. Lundi, neuf raids ont tué trois civils et en ont blessé une dizaine d'autres. Les rues sont désertes. Seul le vieil Ali, à l'abri de sa charrette, vend du thé et du café à d'invisibles clients.

Du papier adhésif et un fil de fortune relient un gros câble électrique à sa radio, qui beugle les nouvelles du "front" : "La résistance islamique mène de grands combats contre l'armée d'occupation sur la frontière libano-palestinienne !" Ali monte le son. "Nous n'abandonnerons pas notre terre, clame-t-il : la résistance vaincra !"

De la radio, monte un chœur grave et martial, grésillant dans le silence de Baalbeck.

Cécile Hennion
Article paru dans l'édition du 19.07.06


liens
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-
3218,36-796404@51-759824,0.html

logo lamoooche annuaire rss www.meilleurduweb.com : Annuaire des meilleurs sites Web. Blogarama - The Blog Directory Find Blogs in the Blog Directory